Crêt de la neige 3328OT Oyonnax. Lélex. PNR du Haut-Jura » (ed IGN, coll. Top25, 2021 Paris)

La collection top25 constitue la pépinière principale des éditions de l’IGN : au plus proche de la « rugueuse réalité », sans concession aux modes (sauf douteuses tentatives numériques), dans un esprit de rigueur et d’inventivité qui fait souvent défaut au paysage littéraire contemporain. Une nouvelle publication est toujours un risque : cet opus intitulé « Crêt de la Neige 3328OT Oyonnax. Lélex. PNR du Haut-Jura » tient et dépasse les promesses de la collection. Il faut s’y laisser glisser comme si jamais nulle poésie n’avait été écrite avant elle. Elle invente un monde où nous devons réapprendre à marcher.


Rigueur disions-nous et c’est la première évidence : là où tant d’œuvres souffrent de relâchements expressifs, de creux où tombent et crèvent nos capacités attentionnelles, ici même une tourbière est un sommet. L’auteur (ou l’autrice?) engage une épreuve de force avec ses propres moyens, épreuve qu’elle soutient jusqu’au bout: la précision de la légende, de l’échelle, des proportions et des couleurs reste – presque maniaquement – respectée. Ainsi, une forte tension parcourt la carte, qui électrise sa lecture: l’enjeu traverse le papier, nous saute au visage, sans compromis possible.
Mais pareille rigueur ne serait que tristesse robotique sans le fourmillement qui se déploie dans l’espace contraint du papier. Pas de retour à la ligne foireux, pas d’extravagance formaliste à périr d’ennui ni d’uniforme revêtement, mais une séminale éruption de contrastes : les larges forêts sont rayées d’une autoroute où les ouvrages d’art tantôt s’opposent, tantôt épousent les courbes de niveau par moments torturées. Ce combat de géant en constitue le morceau de bravoure, mais l’ensemble est piqueté, comme une averse d’évènements singuliers, de coups de théâtres : tours, chapelles, sources, croix, gros rochers marquants, station de pompage, tumulus, etc. Et cela se tourne, se retourne, se déplie et se lit dans tous les sens, au hasard: une constante surprise en deux dimensions. L’engagement verbal est total : d’une « Montagne des Moines » à un « Technoparc du pays de Gex » en passant par une « Commune de Septmoncel les Molunes » et des « combes », « abergements », « Oublies », « Teppes » et autres « Queues de lac » les toponymes ne plaisantent pas avec leurs ressources d’imaginaires, leur fracas de sons et de sens. La profondeur diachronique le dispute aux stigmates de la modernité. L’auteur restitue avec puissance un monde qu’il sait regarder en face et simultanément avec une érudition ouverte comme une plaie : vous n’empêcherez pas la D436 de finir en 2×2 voies. Ni d’énormes lignes hautes tension de flétrir le Pré Michy.
Et pourtant, l’auteur vous laisse étonnamment libre: aucune manipulation, aucun jugement, vous voilà embarqué aussi dans votre propre pensée, dans votre propre espace et dans des projections, des espoirs et des manques qui vous appartiennent. La marque des grands, sans doute, que de raconter ainsi le présent à une échelle intime et pourtant commune. Des prémisses d’horizon naissent à cette lecture ; ils n’y sont pas explicitement inscrits, mais des ciels se lèvent avec certains reliefs, et c’est comme un peu plus libre que vous reprenez la route. Visions, échos, passages : fulgurances de couleurs et rage de l’écriture dans un remarquable retrait narcissique : la tête vous tourne et c’est l’esprit désorienté qu’on sait mieux que jamais où, malgré l’autoroute, sourcer sa propre quête.

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