Mis en avant

Composer

Bah non, je ne « compose » pas des recueils, je ne compose rien. Je ne prévois pas, ne mets pas de « projets » au point. J’écris de temps en temps des textes et les regroupe à la va-comme-je-te-livre. Peut-être que cela changera un jour. C’est très certainement pour beaucoup une mauvaise méthode du point de vue rendement et rigueur et adhérence au présent. Voire.

Quand je compare cette non-méthode à la compulsion post-moderne pour le « sériel », le contrôle, la maîtrise, les variations sur des patterns hypnotiques, j’en ai parfois la gorge sèche : je trouve à mes rêvassements une effervescence dorée et un charme plein de tourbe. Peut-être que rien ne nous limite à la série ? Peut-être que l’ère des reproductions mécaniques puis les clonages, dupplications, réplications de l’avènement numérique ne nous obligent en rien ? A minima elles ne nous obligent pas à tous suivre la même piste qui consisterait à dérégler l’algorithme en le singeant de l’intérieur. Je reste foutrement dehors. Peut-être que persistent, dans des poches résiduelles de l’idée d’écrire, le souvenir amoureux d’une fermentation explosive et l’attrait pour le continu; continu défait peut-être, mais alcoolisant ces fragments sans lien d’échos, de sarcasmes, de bouts de chairs.

Bref, je sors bientôt un recueil de trucs. Et j’ai soif.

Foyer

Ton activité d’écriture s’étant réduite à publier quatre lignes sur facebook, tu te souviens brusquement qu’il faudrait:

– commencer par écrire

– continuer par écrire

– ramasser tout le barda, réécrire, découper, composer, t’acharner, relire, amender, tout jeter, tout reprendre

– continuer par écrire

trouver une forme

– creuser encore

– couler forme et élan

– proposer à des gens, connaître des gens, rencontrer des gens, plaire à des gens, écouter-questionner des gens, lirelirelirelire

– vivre, gesticuler, seriner, accompagner, visite-guider ton barda, servir après vendre

– charmer charmer charmer des grands-mères, des pommes et des adolescents

– commenter le moment, battre la campagne, vaporiser ton avis sur tout partout

– sculpter ta position radicale et unique

– peaufiner la statue

– arrêter tout le reste, tout le restant à vivre

– huiler, faire le plein, incendier la petite SA de ton ego sous pseudonyme

– briller comme cristal vide, préjugé de cristal sur l’auteur et la vie

– voyager aux frais de la Princesse: les auteurs voyagent

– trahir toutes les causes et les êtres : les auteurs trahissent

– apparaître en opuscules, groupuscules, corpuscules, groupes et revues, cimetières, amphithéâtres et pagodes, ateliers et prisons, agendas, missions, pèlerinages, pétitions, golgothas, notifications, rendez-vous, polémiques et geysers

mais tu chasses, à quoi bon, ce souvenir honteux, en soulevant une montagne de scintillements sous lesquels : l’étincelle silencieuse. Parfois le vent brûle et tu es chez toi.

pieds de nez, joues, cheveux

Nous avions des pieds
le nez
les joues
nous jouions nos pieds
nez
joues

maintenant
me voilà
passager indifférent

las de mes pieds mes mains
trop bête la vie
d’exister de son corps
comme renversé par son esprit
dans un petit toboggan

je dis tout cela
de mon ermitage
loin des corps humains
chaste et sans faim

nous avions les cheveux
les yeux
la bouche
nous jouions au jeu
roi
des jeux

et je descends
un toboggan tout noir
j’ai vingt ans
c’est le soir
je suis enfin enfant

maintenant
c’est bien
j’attends
rien

Valls à Pinot

C’était au début du printemps. Déjà exagérément bronzé, Manuel Valls racontait n’importe quoi sur un plateau de bfm télé. Il faisait doux dans le ciel de France. Il était question du maire de Lyon, de vidéosurveillance, etc. Manuel aurait pu tout aussi bien évoquer la courbure du système solaire, ou tout autre sujet, c’eût été selon l’habituel larsen médiatique. Mais l’apparence du type me fit, ce soir, autre chose que seulement peine à voir. Qu’il ait jadis perdu les pédales, soit. Mais il s’enfonçait dans une panique nouvelle, un dérèglement du sens commun qui confinait à l’épure mythologique. Il excédait soudain le grotesque inhérent à la soif de pouvoir. Peu de temps après sur l’Equipe 21 surgissait, christique, le visage de Thibault Pinot en larmes, doublé à moins d’un kilomètre de l’arrivée après une longue cavale solo dans une course de seconde zone. Le souvenir de la tragique 19ème étape du tour de France 2019 revint, avec son abandon dans la montée d’Aussois et la définitive dissipation de son rêve d’être enfin Président.
Le bronzage, comme stigmate d’une lose démesurée, métaphysique: les deux visages se télescopèrent et il m’en vint une chanson. Épiphanie du pouvoir fait misère, de la sueur faite larmes, de la misère faite grâce : puisse-t-elle racheter le crime d’associer le nom d’un beau champion à celui d’un coquin. Une sorte de fraternité secrète des mélancolies les plus capiteuses vous a ce jour-là réunis.
Désolé Thibaut, et respect pour tout.

Ivre

« ivre » est une figure géométrique
on dit « rond » parfois par métaphore
mais « ivre » est plus compliqué
« parfaitement ivre » est impossible à atteindre
on s’approche on tombe
on se rapproche tant qu’on peut
avec toutes nos décimales
mais ce n’est qu’un brouillon
un horizon
pour simplifier auprès des enfants

« ivre » est une forme en miroir
parfaite
au seul risque de ne jamais
apparaître

Rayon shampoing

Des forêts dans la ville
du béton dans les champs
des cercueils dans le ciel
des oiseaux sous la terre
Un sourire dans le magasin
(rayon shampoing)

Des projets dans le passé
des regrets pour demain
Et des chats dans la niche
et des chiens sur les toits
Un sourire dans le magasin
(rayon shampoing)

Un soupir un silence
un silence un shampoing
un shampoing un regard
un départ un soupir
un soupir dans le magasin
(rayon shampoing)

Me plaît

Coming out: chaque rentrée, j’écris des chansons. Je ne sais pas ce qui, de la lumière déclinante ou des cohortes travailleuses, suscite mon brame. En septembre je perds l’ironie, feuille morte. Ni les doigts rouillés, ni mon oreille louche ne me retiennent. Il est temps d’assumer ce tropisme de crooner folk, qui prolonge mes écritures. Je posterai quelques-unes de ces compos, lorsque leur imperfection ou leur bizarrerie me paraîtra propice.

Aujourd’hui, les plaisirs simples : la bible, koh lanta, la forêt.