à gilles bouleau

Jurerais ce matin, à vélo, avoir aperçu Gilles Bouleau faisant son footing mais je me demande pourquoi Gilles Bouleau ferait son footing un jeudi 9h dans la banlieue très périphérique d’une ville de province alors que Gilles Bouleau doit disposer d’une salle de sport chauffée dans le grand studio de tf1 et je dépasse Gilles Bouleau en me disant qu’il ne peut pas être lui-même, que Gilles Bouleau n’est de toute façon qu’un piège de l’imagination aussi transparent qu’un ruisseau d’été, un pur biais cognitif : un être déguisé Gilles Bouleau, sélectionné par une intelligence artificielle sur la base de sa capacité à refléter son audience et dont la fascination réside dans l’irrésistible pouvoir d’attraction de son nom, Gilles Bouleau: si propice à la rêverie entre les grands (bouleaux)…arbres de la voie verte… croisant des joggers (agiles)…sur le chemin du…travail (boulot-boulot).

France Musique

La fanfare expulsée de la place Bellecour mais reconstituée à l’angle des quais et du pont Bonaparte faisait s’agiter une centaine de manifestants. Les voitures restaient bloquées de part et d’autres du carrefour. Les yeux ne me piquaient plus. Le cordon de CRS se tenait calme, assez loin, derrière lequel on distinguait à travers les fumées des silhouettes courir dans un sens, puis dans l’autre. De temps en temps une détonation et une traînée dans le ciel bleu. Mais à la limite du pont, le soleil était de sortie. Je me sentais de plus en plus joyeux. La joie n’effaçait pas la colère mais la colorait, ou l’ocrait, ou je ne sais quoi. La Saône pétillait sur les façades du Vieux Lyon. Il y avait cette ambiance un peu niaise de résistance festive avec des gens qui buvaient des bières, des filles et des gars qui dansaient exagérément. Des têtes de gentils gauchistes, des punks à chien, des profs. Je suis allé acheter une bière à la supérette. Trois filles sifflotaient un chant de manif, j’ai joint mon sifflement au leur. On a décapsulé les bières dans la file d’attente. J’ai distingué douze paires de jambes bleues, les CRS ont chargé, le gérant a baissé sa vitrine avec nous dedans. On a attendu dix minutes. On est ressorti. J’ai marché jusqu’au pont. La fanfare était partie. Il y a eu une détonation, trois flics ont surgi et couru en descendant le quai en direction d’un rassemblement. J’ai suivi les flics. Mais les gens ne faisaient rien. Il y avait le saxophoniste contre la rambarde du quai haut. Un saxophone soprano. Il roulait une cigarette. Je lui ai demandé où étaient ses collègues. Il a dit qu’il ne savait pas. Il a dit qu’au bout de six heures de lacrymos, on pouvait s’écarter un peu. Avec un sourire. Puis j’ai continué. Le métro avait rouvert. Les gens passaient. Les voitures passaient. Il n’y avait plus rien. J’avais une canette aux trois quarts pleines en main.

Composer

Bah non, je ne « compose » pas des recueils, je ne compose rien. Je ne prévois pas, ne mets pas de « projets » au point. J’écris de temps en temps des textes et les regroupe à la va-comme-je-te-livre. Peut-être que cela changera un jour. C’est très certainement pour beaucoup une mauvaise méthode du point de vue rendement et rigueur et adhérence au présent. Voire.

Quand je compare cette non-méthode à la compulsion post-moderne pour le « sériel », le contrôle, la maîtrise, les variations sur des patterns hypnotiques, j’en ai parfois la gorge sèche : je trouve à mes rêvassements une effervescence dorée et un charme plein de tourbe. Peut-être que rien ne nous limite à la série ? Peut-être que l’ère des reproductions mécaniques puis les clonages, dupplications, réplications de l’avènement numérique ne nous obligent en rien ? A minima elles ne nous obligent pas à tous suivre la même piste qui consisterait à dérégler l’algorithme en le singeant de l’intérieur. Je reste foutrement dehors. Peut-être que persistent, dans des poches résiduelles de l’idée d’écrire, le souvenir amoureux d’une fermentation explosive et l’attrait pour le continu; continu défait peut-être, mais alcoolisant ces fragments sans lien d’échos, de sarcasmes, de bouts de chairs.

Bref, je sors bientôt un recueil de trucs. Et j’ai soif.

Alors non

Je dis pas du mal pour le plaisir mais si le mot poésie a encore un sens : alors, non. Actes Sud tu publies foule d’excellents livres, mais il faudrait que tu arrêtes de dire « poésie ». Cyril Dion: désolé, je n’ai rien contre toi, tu m’as l’air d’un bon type et moi je ne sais pas du tout ce que c’est que la poésie, mais : pas *ça*. Et je trouve grossier de vendre cet ouvrage sous ce nom. N’importe quel « petit éditeur » sérieux de « poésie » rougirait devant ces poétismes infantiles à base de satin éperdu et d’orfèvrerie de l’abîme. N’importe quel revuiste digne refuserait ces compléments du nom rafistolés au gros scotch: sans déconner « des employés des entreprises » ? « des indiens des forêts » ? N’importe quel bricoleur de fanzine renierait la coupe de tes vers sans rythme ni raisons, semés de virgules aussi légères que des clous de cercueils et plus encore la niaiserie moralisante du propos. Et je sais pourtant que tu n’as pas fait exprès, ce n’est pas de ta faute : on t’a dit banco, vazy camarade, tu as des choses à dire. Mais non : la poésie n’est pas la danseuse d’une quelconque cause. Tu as certainement bossé d’autres trucs, navré : la poésie nécessite elle aussi un travail. Un foutu travail. A la serpe : dans la langue, avec elle et contre elle. Amen. Tu ne sers même pas ta cause en chantant comme une tronçonneuse. Lis un peu des poètes. Va voir untel, unetelle. Je te citerai des noms si tu demandes humblement. Tu pourrais comprendre comment ce travail peut ensauvager, réellement ensauvager les mots. Là commence ta Cause, peut-être? Comment le poème peut devenir un étrange mobile, une créature en fuite. Tigre. Toi tu arrives chez le Grantéditeur : tu jettes par centaines des bisounours domestiqués, en plomb, qui vont moisir au fond de la mare. Nous, tous les printemps, on ramasse ce que Fraxion appelle en son âme et conscience des poèmes de m*…. Mais ce n’est pas ta faute. Actes Sud, merci de cesser toute publication « poétique » ou bien Villon, Tarkos et Machintruc qui bricole ses fanzines, on te colle un procès pour contrefaçon. Et tu verras l’audience: ça va brailler, pas chouiner de « l’inavouable communauté de destin ». Bises

Foyer

Ton activité d’écriture s’étant réduite à publier quatre lignes sur facebook, tu te souviens brusquement qu’il faudrait:

– commencer par écrire

– continuer par écrire

– ramasser tout le barda, réécrire, découper, composer, t’acharner, relire, amender, tout jeter, tout reprendre

– continuer par écrire

trouver une forme

– creuser encore

– couler forme et élan

– proposer à des gens, connaître des gens, rencontrer des gens, plaire à des gens, écouter-questionner des gens, lirelirelirelire

– vivre, gesticuler, seriner, accompagner, visite-guider ton barda, servir après vendre

– charmer charmer charmer des grands-mères, des pommes et des adolescents

– commenter le moment, battre la campagne, vaporiser ton avis sur tout partout

– sculpter ta position radicale et unique

– peaufiner la statue

– arrêter tout le reste, tout le restant à vivre

– huiler, faire le plein, incendier la petite SA de ton ego sous pseudonyme

– briller comme cristal vide, préjugé de cristal sur l’auteur et la vie

– voyager aux frais de la Princesse: les auteurs voyagent

– trahir toutes les causes et les êtres : les auteurs trahissent

– apparaître en opuscules, groupuscules, corpuscules, groupes et revues, cimetières, amphithéâtres et pagodes, ateliers et prisons, agendas, missions, pèlerinages, pétitions, golgothas, notifications, rendez-vous, polémiques et geysers

mais tu chasses, à quoi bon, ce souvenir honteux, en soulevant une montagne de scintillements sous lesquels : l’étincelle silencieuse. Parfois le vent brûle et tu es chez toi.

pieds de nez, joues, cheveux

Nous avions des pieds
le nez
les joues
nous jouions nos pieds
nez
joues

maintenant
me voilà
passager indifférent

las de mes pieds mes mains
trop bête la vie
d’exister de son corps
comme renversé par son esprit
dans un petit toboggan

je dis tout cela
de mon ermitage
loin des corps humains
chaste et sans faim

nous avions les cheveux
les yeux
la bouche
nous jouions au jeu
roi
des jeux

et je descends
un toboggan tout noir
j’ai vingt ans
c’est le soir
je suis enfin enfant

maintenant
c’est bien
j’attends
rien

Valls à Pinot

C’était au début du printemps. Déjà exagérément bronzé, Manuel Valls racontait n’importe quoi sur un plateau de bfm télé. Il faisait doux dans le ciel de France. Il était question du maire de Lyon, de vidéosurveillance, etc. Manuel aurait pu tout aussi bien évoquer la courbure du système solaire, ou tout autre sujet, c’eût été selon l’habituel larsen médiatique. Mais l’apparence du type me fit, ce soir, autre chose que seulement peine à voir. Qu’il ait jadis perdu les pédales, soit. Mais il s’enfonçait dans une panique nouvelle, un dérèglement du sens commun qui confinait à l’épure mythologique. Il excédait soudain le grotesque inhérent à la soif de pouvoir. Peu de temps après sur l’Equipe 21 surgissait, christique, le visage de Thibault Pinot en larmes, doublé à moins d’un kilomètre de l’arrivée après une longue cavale solo dans une course de seconde zone. Le souvenir de la tragique 19ème étape du tour de France 2019 revint, avec son abandon dans la montée d’Aussois et la définitive dissipation de son rêve d’être enfin Président.
Le bronzage, comme stigmate d’une lose démesurée, métaphysique: les deux visages se télescopèrent et il m’en vint une chanson. Épiphanie du pouvoir fait misère, de la sueur faite larmes, de la misère faite grâce : puisse-t-elle racheter le crime d’associer le nom d’un beau champion à celui d’un coquin. Une sorte de fraternité secrète des mélancolies les plus capiteuses vous a ce jour-là réunis.
Désolé Thibaut, et respect pour tout.

Ivre

« ivre » est une figure géométrique
on dit « rond » parfois par métaphore
mais « ivre » est plus compliqué
« parfaitement ivre » est impossible à atteindre
on s’approche on tombe
on se rapproche tant qu’on peut
avec toutes nos décimales
mais ce n’est qu’un brouillon
un horizon
pour simplifier auprès des enfants

« ivre » est une forme en miroir
parfaite
au seul risque de ne jamais
apparaître